Je dois avouer que j’aime réaliser des évaluations, autant chez les enfants, les adolescents que les adultes. Bien certainement, une multitude de nuances peuvent être considérées selon l’âge et la maturité d’une personne. Toutefois, je ne fais pas de distinctions majeures concernant les principes théoriques qui guident mes décisions cliniques lors d’évaluations. Qu’une personne ait 8 ou 17 ans, la nature des troubles demeure la même et les marqueurs cognitifs qui contribuent à leur identification sont souvent similaires, peu importe l’âge. L’âge des clients influence surtout le choix des sous-tests utilisés. Ce que je propose donc ici s’applique autant chez les jeunes du primaire que les collégiens.
Mon expérience en clinique privée et en milieu scolaire doublée d’une avide recherche d’informations pour mieux comprendre et interagir avec mes clients m’ont permis de prendre une orientation bien particulière que je raffine et utilise depuis plusieurs années. Cette orientation que je détaille de façon approfondie dans la formation DCEL provient de trois informations scientifiques importantes : la récupération illusoire, l’effet Mathieu et le consensus scientifique CATALISE. Je m’explique.
La récupération illusoire stipule qu’à l’âge de 4 ou 5 ans, certains enfants ayant eu des difficultés langagières en plus bas âge semblent avoir réussi à développer leurs compétences langagières comme leurs pairs. Toutefois, cette récupération ne serait pas tout à fait réelle et cela s’explique par le fait que les outils d’évaluation ne sont pas suffisamment sensibles pour identifier le trouble à cet âge. Pour éviter de conclure à de faux négatifs, la recherche recommande d’avoir recours à des tâches plus fines avec des jeunes de 4 ou 5 ans en évaluant le discours narratif, la dénomination rapide automatisée (DRA), la conscience phonologique et la répétition de phrases. C’est donc dire que l’évolution favorable du langage oral de certains jeunes pourrait se transformer en dyslexie-dysorthographie ou en trouble de langage touchant principalement le langage complexe.
L’effet Mathieu avance, quant à lui, que le manque d’expériences en lecture peut limiter le développement du vocabulaire et des compétences langagières complexes, ce qui rend les jeunes apprenants ayant une dyslexie-dysorthographie plus particulièrement à risque. Concrètement, cette théorie avance que des jeunes sans difficulté langagière peuvent se retrouver avec des compétences langagières complexes sous-développées étant donné le manque de stimulation par la lecture. Par exemple, la compréhension d’expressions, la compréhension de phrases complexes ou la capacité à déduire et inférer de l’information dans un texte pourrait être plus difficile.
Finalement, le consensus CATALISE recadre le trouble développemental du langage en stipulant que la sévérité du trouble et la quantité de sphères langagières atteintes ne constituent pas un critère diagnostique. L’atteinte légère d’une seule sphère langagière peut suffire à conclure à un TDL. CATALISE relève également que certains jeunes sont identifiés tardivement, après l’âge de 5 ans. Dans cette perspective, le langage complexe de certains de ces jeunes serait donc atteint alors que le langage quotidien, parfois nommé « fonctionnel » ou « conversationnel » serait adéquat.
À la lumière de ces informations, la limite entre le TDL et la dyslexie-dysorthographie est de plus en plus mince, selon le profil de la personne. Comme on le sait, le TDL est très peu connu du grand public. Souvent, les parents et les jeunes qui consultent pour des difficultés scolaires évoquent rapidement la possibilité d’une dyslexie ou dysorthographie. Bien que je considère l’avis des clients, je cherche davantage à creuser la nature des difficultés et les contextes problématiques sans éliminer l’hypothèse d’un TDL. Pour m’aider à orienter mon évaluation, l’utilisation de sous-tests ciblés lors de ma première séance me permet de valider si j’approfondis l’évaluation du langage oral ou si je porte une plus grande attention au langage écrit et au langage complexe.
J’utilise d’abord un test qui permet de documenter la compréhension du vocabulaire complexe. Le test « Famille de mots » de la batterie CELF-5 permet de documenter la compréhension des mots, la mémoire verbale ainsi que la capacité à faire des liens entre les concepts. De surcroît, je demande toujours au jeune de justifier ses choix, ce qui fournit d’excellentes informations concernant le discours et l’élaboration des idées tout en validant la compréhension du jeune.
À ce test j’ajoute un test de vocabulaire expressif, le EVT-3, disponible chez Pearson. Bien que ce test soit assez long, l’information que j’en tire me satisfait : je cherche les manifestations de trouble d’accès lexical et je demande d’expliquer l’utilité de certains objets pour documenter les habiletés discursives. De plus, lorsqu’un jeune performe de façon très faible à ce sous-test, cela constitue un indice supplémentaire pour envisager d’approfondir les habiletés langagières orales.
Finalement, j’utilise toujours la tâche de répétition de phrases qui constitue un sous-test clé comme marqueur cognitif pour identifier le TDL autant chez les enfants que chez les adolescents.
À la lumière de ces résultats et des autres informations compilées, je prends la décision de poursuivre mon évaluation soit en portant une attention particulière au langage oral autant fonctionnel que complexe, tout en évaluant l’essentiel des habiletés en lecture et écriture, soit en évaluant de façon approfondie les habiletés langagières à l’écrit ainsi que le langage complexe.
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