Exploiter les impacts fonctionnels dans la pratique clinique
Les impacts fonctionnels sont au cœur de l’évaluation des troubles du langage depuis les travaux du groupe scientifique CATALISE (ref.) . La considération des impacts fonctionnels revêt une importance capitale dans la pratique orthophonique au Québec. Ce concept est devenu essentiel pour établir la présence d’un trouble développemental du langage. Il prend de plus en plus d’importance pour l’établissement d’autres troubles, tels que la dyslexie et dysorthographie (ref.). Par l’intégration des impacts fonctionnels en évaluation, les chercheurs redéfinissent les critères diagnostiques. Cette approche privilégie une perspective axée sur les conséquences des difficultés langagières au quotidien. Cette orientation exige que les orthophonistes ancrent l’évaluation dans le quotidien des individus qui composent avec un trouble. Ma satisfaction est grande de constater que cette perspective gagne en pertinence et en importance. En effet, cela satisfait mon besoin de comprendre les difficultés vécues et leurs manifestations afin de mieux accompagner les personnes.
Définir et clarifier les impacts fonctionnels
Malgré l’importance accordée aux impacts fonctionnels dans la littérature scientifique, aucune définition officielle n’existe. Afin de mieux intégrer ce concept, j’ai développé une définition personnelle à partir de mes lectures. Les impacts fonctionnels correspondent aux conséquences d’un trouble qui entravent ou limitent l’exécution d’activités d’une personne. Selon MHAVIE (ref.), douze habitudes de vie permettent à un individu de s’épanouir. Six sont des activités courantes: communication, déplacement, nutrition, condition physique et bien-être psychologique, soins personnels et de santé et habitation. Six autres sont classés « rôles sociaux » : responsabilités, relations interpersonnelles, vie associative et spirituelle, éducation, travail et loisirs. Parmi ces habitudes de vie, certaines nécessitent davantage d’habiletés langagières pour les réaliser. De plus, certaines seront plus ou moins importante selon l’âge et les objectifs personnels des individus. Considérer ces habitudes de vie permet d’analyser les besoins des individus et leurs priorités concernant l’accompagnement à offrir.
Dans le but de mieux conceptualiser les impacts fonctionnels, j’en ai déduit quatre caractéristiques centrales. D’abord, les impacts fonctionnels sont vastes. C’est-à-dire qu’ils touchent divers aspects du quotidien, par exemple, les apprentissages, la communication ou la socialisation. Ensuite, ils sont une conséquence d’un trouble. C’est donc dire que sans la présence d’un trouble, l’impact fonctionnel ne serait pas observé. De plus, les impacts fonctionnels sont évolutifs. Ils fluctuent selon les situations vécues et selon les stratégies déployées par la personne pour composer avec les défis. Finalement, les impacts fonctionnels sont relatifs. Selon les contextes, les exigences ou les aspirations d’une personne, les impacts fonctionnels seront différents. Ces caractéristiques offrent une perspective complète pour considérer les conséquences concrètes d’un trouble. Cela permet d’accompagner et guider les clients à composer avec le trouble et les défis qu’il occasionne.
Considérer l’humain pour mieux comprendre
En plus de ces 4 caractéristiques, il existe une autre perspective complexe que les intervenants ne doivent pas négliger. En effet, les impacts fonctionnels d’un trouble peuvent demeurer plus ou moins apparents. Ils peuvent parfois échapper à la conscience d’une personne ou des personnes qui l’entourent. Certaines personnes habituées à composer avec leur trouble parviennent à développer des stratégies efficaces et à exploiter diverses ressources. Ce qui camoufle les défis occasionnés par le trouble. L’adaptation de la personne devient une seconde nature, masquant ainsi les répercussions du trouble. Cette subtilité rend l’évaluation des impacts fonctionnels d’autant plus complexe. Ceci nécessite une approche attentive pour discerner les aspects conscients et inconscients des limitations induites par le trouble. Comprendre cette dimension est essentiel pour prendre en compte la diversité des expériences et des perceptions individuelles.
Certains impacts fonctionnels peuvent directement être attribuables aux troubles du langage. Toutefois, la personnalité de l’individu joue un rôle significatif dans leur intensification, atténuation ou dissimulation. Par exemple, une personnalité extravertie peut développer de bonnes compétences sociales ou utiliser l’humour pour mieux composer avec ses difficultés langagières. À l’inverse, une personnalité introvertie peut davantage se mettre en retrait, évitant les situations de communication qui constituent un défi majeur. La tolérance au stress peut également influencer : une personne anxieuse peut voir les impacts s’accentuer, tandis qu’une personne résiliente les surmonte plus aisément. L’estime de soi joue un rôle important, une personne confiante peut mieux faire face aux défis langagiers. En somme, la personnalité d’un individu influence la manière dont les impacts fonctionnels se manifestent. Cette dimension humaine doit être également prise en compte dans l’accompagnement offert aux personnes.
Les impacts fonctionnels lors de mes évaluations
Lors d’une première rencontre avec une personne, mon objectif principal est d’identifier les impacts fonctionnels qui la préoccupent. En collaboration, nous identifions les situations quotidiennes vécues problématiques. Par l’échange, la réflexion et le questionnement, je l’incite à approfondir sa compréhension des défis rencontrés. Prenant en compte sa personnalité et ses réactions, je l’amène à mieux comprendre et connaitre son fonctionnement. La discussion vise également à relever les forces et les stratégies déployées. Lors des séances d’évaluation, je questionne la personne pour comprendre comment elle réalise une tâche proposée. J’émets des hypothèses concernant des stratégies utilisées, le stress vécu ou sur la fatigue occasionnée. Je cherche à établir des liens entre mes observations cliniques et les défis vécus quotidiennement. Ce processus valide mes recommandations et permet de construire une compréhension mutuelle de la situation. De plus, cela oriente les moyens à exploiter par la personne pour mieux composer avec son trouble pour évoluer.
Les impacts fonctionnels lors de mes interventions
Pour cibler les objectifs d’intervention, je prends en compte les atteintes langagières observées. À cela, je combine la vision du client concernant les situations quotidiennes qui sont plus difficiles. Je m’assure donc de considérer les impacts fonctionnels qu’il juge prioritaires. Durant les séances d’intervention, j’explicite au client comment les objectifs langagiers choisis peuvent améliorer les situations quotidiennes. De plus, je questionne régulièrement la personne sur les situations vécues dans son quotidien. Je l’amène à s’autoévaluer quant à sa façon de réaliser une tâche et à utiliser certains moyens aidants. Parfois, la personne trouve par elle-même des stratégies alors qu’à d’autres moments, nous les trouvons ensemble. Le rappel et l’explicitation fréquents des liens entre les objectifs d’intervention et les situations quotidiennes restent cruciaux. Cela facilite une utilisation spontanée et autonome des moyens qui sont aidants. La personne développe graduellement une conscience des moyens qui l’aident.
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Références :
CATALISE https://peerj.com/preprints/2484v2/
CIM-11 : https://icd.who.int/browse11/l-m/fr#/http%3a%2f%2fid.who.int%2ficd%2fentity%2f2099676649
DSM-5 : https://www.psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm
Patrick Fougeyrollas, Luc Noreau, (2003) avec la collaboration de Monique Beaulieu, Sylvie-Anne Dion, Céline Lepage, Marc Sévigny, Ginette St Michel, Julie Tremblay, Yves Boisvert, Yves Lachapelle, & Normand Boucher, MHAVIE version (4.0) adolescents, adultes, ainés, révisé en 2014, Québec RIPPH.
2 Responses
Je trouve cet article très intéressant. Ça m’inspire vraiment!
Je suis très contente de lire cela! S’il y a des éléments que tu aimerais que j’approfondisse davantage, ce sera un plaisir de te lire et d’y répondre 🙂