Anciennement nommé dysphasie le trouble développemental du langage (TDL) a fait l’objet d’un consensus international, issu d’un groupe d’experts nommé CATALISE en 2016 afin de clarifier les concepts concernant les troubles de langage. Dans les dernières décennies, diverses appellations ont été utilisées pour documenter les troubles de langage, comme « audimudité », « dysphasie » ou « trouble primaire du langage ». Ce consensus scientifique que l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec a officiellement adopté des impacts sociaux et cliniques essentiels à découvrir.
Bien que le trouble développemental fasse l’objet de nombreux articles et de réflexions cliniques pertinentes auprès des enfants de moins de 5 ans, c’est principalement le TDL auprès des enfants et des adolescents d’âge scolaire ainsi qu’auprès des adultes qui est abordé.
Les travaux du groupe CATALISE n’entrainent pas une simple modification d’étiquette, mais contraignent une conception différente du trouble développemental du langage et obligent les cliniciens à revoir leurs critères diagnostiques.
Plus concrètement, un écart significatif entre les habiletés intellectuelles verbales et non verbales n’est plus nécessaire. Des personnes ayant des habiletés non verbales faibles peuvent présenter un TDL à condition que la déficience intellectuelle soit écartée.
L’ampleur des difficultés langagières est un autre bon exemple. Une personne ayant au moins une atteinte langagière (ex. sémantique, syntaxique, mémoire verbale) affectant la dimension expressive ou réceptive peut également présenter un TDL. De plus, la sévérité des atteintes ne constitue plus un critère important : les difficultés peuvent seulement être légères.
Ces profonds changements expliquent l’augmentation considérable du nombre de personnes ayant un TDL, correspondant à 8% de la population selon les plus récentes recherches.
Ces modifications obligent un changement de perspective autant pour les orthophonistes que les autres intervenants. Premièrement, les personnes ayant un TDL ne sont pas toutes scolarisées dans des classes adaptées, souvent nommées « classe communication » ou « classe langage ». Bon nombre de jeunes sont scolarisés dans des classes ordinaires. Parmi eux, malgré leurs difficultés, certains obtiennent leur diplôme d’études secondaires grâce à leurs efforts considérables. Deuxièmement, bien qu’on s’attende généralement à ce que le TDL soit identifié avant l’entrée en maternelle, il est maintenant plus fréquent que ce trouble soit identifié chez des jeunes d’âge scolaire, voire des adolescents ou des adultes. Dans le passé, plusieurs auraient reçu une conclusion de « trouble d’apprentissage » alors qu’en réalité, ils avaient un TDL.
CATALISE définit le TDL comme un trouble neurodéveloppemental présent dès la naissance qui affecte une ou plusieurs sphères langagières de façon persistante. Ces atteintes occasionnent des impacts fonctionnels dans la vie des individus, que ce soit au niveau des apprentissages, de l’autonomie, de la socialisation ou de l’employabilité.
Six sphères langagières sont identifiées par CATALISE :
Le niveau de sévérité des atteintes et le nombre de sphères atteintes ne constituent pas un critère pour conclure à un trouble développemental du langage. L’atteinte d’une seule de ces sphères, en expressif ou en réceptif, peut mener à une conclusion de TDL.
La présence de difficultés persistantes, c’est-à-dire qui sont observées à différents moments chez une même personne, doit être nuancée par rapport à la résistance à l’intervention. CATALISE relève donc qu’aucune intervention spécifique en orthophonie n’est obligatoire pour poser la conclusion d’un TDL.
La résistance à l’intervention constitue cliniquement un argument sécurisant pour conclure à un trouble, mais il est important de bien comprendre que ce n’est pas un critère diagnostique.
Bien que CATALISE recommande la prudence concernant l’identification du trouble de langage chez les enfants de moins de 4 ans, pour ceux âgés de 5 ans et plus, la présence de difficultés langagières risque d’être persistante.
CATALISE exige, pour conclure au TDL, que les difficultés langagières nuisent au fonctionnement quotidien de la personne, que ce soit au niveau de la socialisation, de la communication ou des apprentissages. Cet ajout important oblige les cliniciens à documenter les impacts fonctionnels afin de valider les situations problématiques vécues. Comprendre et documenter les impacts fonctionnels est complexe. D’abord, il s’agit de documenter la perception du client et de plusieurs personnes qui l’entourent. Ensuite, ces impacts varient selon le contexte, les attentes des personnes et les activités à réaliser. L’OCIF est d’ailleurs un outil clinique qualitatif développé chez Horizons qui permet de mieux comprendre les défis et les forces des enfants, adolescents et adultes dans différents contextes afin d’obtenir un meilleur portrait des impacts fonctionnels.
Finalement, CATALISE distingue le « trouble développemental du langage » avec le « trouble de langage ». Si l’individu présente une condition biomédicale comme un trouble du spectre de l’autisme, un traumatisme crânien, une déficience intellectuelle, une condition génétique ou de l’épilepsie il n’est pas possible de conclure à un TDL. Le clinicien doit conclure à un trouble de langage.
Le RADLD, Raising Awarness of Developpemental Language Disorder, un organisme international faisant la promotion du TDL, fournit dans une fiche traduite en français de nombreuses informations permettant de mieux comprendre le TDL.
L’évaluation du TDL pour les orthophonistes nécessite de prendre en compte plusieurs informations autant de nature qualitative que quantitative. CATALISE indique également qu’il est possible que les résultats aux tests normalisés ne permettent pas de ressortir les difficultés malgré la présence d’un TDL. Le jugement et l’analyse du clinicien deviennent donc cruciaux en s’appuyant sur l’ensemble des informations recueillies : l’histoire de cas, les observations qualitatives pendant l’évaluation, les informations scolaires, les autres évaluations professionnelles et la documentation approfondie des impacts fonctionnels. Les expériences cliniques, une fatigue, un stress plus marqué ou une lenteur importante lors de tâches langagières constituent souvent de bons indices qualitatifs qui me permettent de nuancer de bons résultats quantitatifs. L’utilisation de stratégies pour réaliser les tâches est également importante à considérer. Aussi, l’évitement, notamment un manque d’élaboration en conversation constitue un autre indice important à considérer.
Les orthophonistes doivent toutefois éviter de confondre le TDL à certains autres troubles fréquents qui peuvent être concomitants. D’une part, il faut départager le TDL du TSP (trouble des sons de la parole), ce qui constitue un défi de taille avec les enfants d’âge préscolaires. D’une autre part, le TDL ne correspond pas aux difficultés langagières orales des jeunes dyslexiques et dysorthographiques. Plusieurs tests et observations permettront de faire ces distinctions, et parfois le temps sera nécessaire pour y parvenir.
Lisa Archibald, professeure à l’Université Western Ontario et orthophoniste, hautement impliquée et engagée a développé une boite à outils sur le TDL pour aider les orthophonistes à évaluer le TDL. Ces outils sont rendus disponibles gratuitement grâce à l’OOAQ.
En clinique, lorsqu’une demande d’évaluation m’est adressée afin de mieux comprendre le profil d’un jeune d’âge scolaire, la possibilité qu’un TDL soit présent n’est pas écartée. Les parents et les enseignants émettent souvent l’hypothèse d’une dyslexie ou d’un trouble d’attention alors que les difficultés peuvent plutôt être langagières. Questionner les parents et le jeune sur son vécu et sur les impacts fonctionnels avant de débuter l’évaluation permet d’orienter le choix des tests. De cette façon, l’évaluation pourra mettre plus d’emphase sur le langage oral ou sur le langage écrit afin d’arriver à une conclusion précise.
De plus, à la première séance d’évaluation, la passation de certains sous-tests (ex. langage complexe, répétition de phrases) valide l’orientation de l’évaluation. Cette démarche présentée dans DCEL, une formation exclusive aux orthophonistes, évite de perdre du temps tout en s’assurant de ne pas omettre l’identification d’un TDL ou d’une dyslexie-dysorthographie, ou les deux, le cas échéant. DCEL approfondit un processus clinique qui optimise l’évaluation du TDL et de la dyslexie-dysorthographie simultanément.
Avec le consensus CATALISE, les scientifiques développent de plus en plus de recherches pour documenter les meilleures pratiques auprès des jeunes ayant un TDL. Les informations ne sont toutefois pas aussi solides et consensuelles que celles concernant les jeunes ayant une dyslexie et une dysorthographie. Malgré ce constat, des pistes d’intervention existent afin de mieux intervenir auprès de cette clientèle.
Tel que documenté dans la section portant sur l’évaluation du TDL, chaque personne ayant un TDL a son propre profil, avec des forces et des défis qu’il est nécessaire de bien comprendre pour mieux cibler les objectifs et les moyens d’intervention à mettre en place. Les défis peuvent être identifiés sous deux angles : les défis langagiers et les impacts fonctionnels.
À titre de rappel, six sphères langagières peuvent être atteintes, de façon plus ou moins importante chez les jeunes ayant un TDL, en expression ou en compréhension :
Ces difficultés langagières ont des impacts dans différents contextes de vie chez les personnes ayant un TDL, comme les apprentissages, la socialisation, le bien-être personnel et émotionnel, l’autonomie, la communication ou l’employabilité.
Selon le contexte, les intervenants peuvent prendre différentes avenues pour accompagner les jeunes ayant un TDL, que ce soit un orthophoniste, un orthopédagogue, un enseignant ou un autre intervenant. L’intervention peut se réaliser en individuel, en petit groupe et même en classe au bénéfice d’un plus grand nombre de jeunes.
D’abord, une intervention spécifique portant sur une ou des sphères langagières peut être bénéfique. Intervenir sur la sémantique (le vocabulaire) ou sur le discours (la narration) constitue un objectif donnant des résultats intéressants selon la recherche.
Concernant le développement du vocabulaire, les mots ciblés doivent être présentés dans un contexte, que ce soit la lecture d’un texte ou d’un livre ou bien l’écoute d’un film ou d’un vidéo. Comprendre des mots, c’est construire du sens. L’utilisation et l’exploitation de mots dans différents contextes de façon explicite favorisent le développement du vocabulaire. L’intervenant doit également structurer l’intervention selon les mots ciblés. D’abord, l’intervenant insiste sur le mot ciblé en ralentissant le débit, en utilisant une intonation exagérée, en l’écrivant et en répétant le mot le plus souvent possible. Ensuite, l’intervenant fournit une explication simplifiée du mot par un synonyme ou un antonyme, par exemple. Comme la compréhension se construit avec l’expérience et les contextes, l’intervenant reprend ce même mot dans un autre contexte. La répétition et la réutilisation du mot favorisent la rétention et la compréhension. Ces étapes favorisent davantage la compréhension. L’intervenant doit par la suite créer des situations où l’apprenant doit exprimer le mot à l’oral tout en intégrant le sens de façon multisensorielle (ex. geste, dessin, manipulation d’objets). Ce type d’intervention gagne à être fréquent et régulier. Ces suggestions sont tirées de l’article paru sur le site TA@l’école de Mary Ann Schouten, orthophoniste et Taylor Bardell, candidate au programme de maîtrise.
Un principe similaire vise le développement de la narration qui peut facilement être utilisé en classe ou en petit groupe. Ce type d’activité peut être réalisé à partir d’histoires ou de textes lus, écoutés ou visionnés. L’intervenant doit s’assurer de choisir un texte qui respecte le niveau des apprenants et les objectifs d’apprentissage. L’intervenant débute l’intervention en réalisant une première lecture au groupe tout en questionnant et en faisant réagir les jeunes. À travers cette première lecture, l’intervenant insiste sur certains éléments clés de l’histoire (ex. lieu, moment, situation, personnages selon leurs émotions et leurs états, élément déclencheur, actions posées et conséquences de celles-ci). Le recours à des dessins, des images et des organisateurs textuels facilite la compréhension de la narration. Par la suite, pour favoriser l’expression, les jeunes sont invités à raconter l’histoire. Une approche similaire aux lectures interactives enrichies de Pascal Lefebvre est proposée dans la trousse d’intervention clé en main « 5 LIE » développée chez Horizons.
Pour les intervenants travaillant davantage en individuel, l’article de Julie Cattini « 10 principes à garder en tête lors d’une intervention en narration » fournit des pistes pour intégrer la narration dans leur intervention.
La recherche rapporte qu’il est également possible d’intervenir au niveau de la structure de phrases (ex. l’ordre des mots dans les phrases, utiliser des marqueurs de relation, utiliser les bonnes prépositions ou les pronoms compléments) auprès des jeunes ayant un TDL. Toutefois, ces interventions sont beaucoup plus exigeantes et doivent être spécifiques ainsi que ciblées selon le profil des jeunes. Pour les enseignants et les orthopédagogues, sans nécessairement réaliser des activités ciblées et spécifiques à un jeune, fournir de bons modèles ou bien expliquer le sens de certaines phrases ou de certains mots spécifiques dans des phrases (ex. bien que, si) contribue au développement des compétences des apprenants.
Le constat est similaire lorsque les jeunes présentent des difficultés importantes en compréhension. Malgré les défis, les intervenants ne doivent pas négliger ces objectifs d’intervention. Le recours à la microgradation des objectifs sera indispensable.
Malgré les interventions, la mise en place de mesures pour favoriser la compréhension et le traitement de l’information est indispensable. Par exemple, fournir moins d’information simultanément, répéter les informations, fournir des repères visuels, sélectionner le contenu essentiel à apprendre, simplifier le contenu et les explications ainsi que modéliser les tâches à effectuer constituent des moyens favorisant le traitement de l’information. De plus, aider l’apprenant à planifier, organiser ses tâches, l’accompagner à prendre conscience de ses incompréhensions et à trouver des solutions sera des accompagnements bénéfiques à long terme.
Dans une autre perspective, l’apprenant peut avoir besoin de développer des habiletés spécifiques au quotidien, visant donc une réduction des impacts fonctionnels. À ce sujet, la recherche rapporte que l’intervention portant sur les sphères du langage n’aura pas d’impact direct sur le fonctionnement quotidien des jeunes. Pour améliorer les situations problématiques vécues, les intervenants doivent agir sur ces dernières.
L’intervention visant les impacts fonctionnels met à contribution divers intervenants. Toutefois, ceux-ci doivent être sensibilisés aux défis langagiers afin d’adapter l’intervention au profil des jeunes. Concrètement, le choix des mots de vocabulaire et la structure de phrases utilisée, la quantité et la complexité du langage employé devront être bien contrôlés. Afin de valider et consolider la compréhension des jeunes, il est judicieux de demander aux jeunes d’expliquer leur compréhension. Laisser le temps à l’apprenant de s’exprimer, lui poser des questions précises ou lui offrir des choix de réponse et des exemples de réponse possibles facilitent cette intervention. Chantal Desmarais, professeure, chercheure à l’Université Laval et orthophoniste, en collaborant avec des intervenants scolaires, a développé le programme ESCALADE, un programme d’intervention en groupe gratuit pour intervenir auprès des adolescents.