Le consensus scientifique n’est plus à démontrer concernant l’importance du traitement phonologique. Qu’est-ce que le traitement phonologique? Plus précisément, il s’agit de la conscience phonologique, de la mémoire de travail phonologique et l’accès au lexique phonologique.
L’élément crucial du traitement phonologique et très bien connu des cliniciens est la conscience phonologique. Cette habileté correspond à la capacité de reconnaitre et de manipuler (enlever, inverser, substituer) les sons dans les mots. Les sons peuvent être manipulés en groupe, à partir de syllabes ou de façon isolée, en phonème. Anaïs Deleuze, orthophoniste et formatrice de renom au Québec, propose des capsules vidéos intéressantes sur le sujet de la conscience phonologique (capsule 2). L’importance de travailler au niveau du phonème, plus particulièrement en réalisant la fusion et la segmentation phonémique, tout en manipulant les graphies qui y sont associées, est de plus en plus recommandée scientifiquement.
Brigitte Stanké, dans son livre « Les dyslexies-dysorthographies », précise que la mémoire de travail phonologique est une composante de la mémoire de travail verbale. Bien qu’il y ait une différence entre les auteurs consultés concernant les termes utilisés, la mémoire phonologique (de travail) s’évalue par le biais de tâche de répétitions de non-mots et la mémoire verbale (de travail) s’évalue en utilisant des tâches de répétition de chiffres. La répétition de non-mots constitue une tâche exclusivement phonologique, sans qu’aucun sens ne soit impliqué, c’est-à-dire que seul le traitement phonologique est impliqué : percevoir, discriminer, mémoriser les phonèmes entendus et les reproduire immédiatement. La tâche de répétition de chiffres, quant à elle, implique, en plus d’une dimension phonologique solidement acquise (séquences de sons dans chaque chiffre), un sens (quantité) qui y est associé.
L’échec à une tâche de répétition de non-mots constitue un marqueur cognitif pour identifier la présence d’une dyslexie et d’une dysorthographie ou un trouble développemental du langage. L’échec dans la tâche de répétition de chiffres n’indique pas seulement une atteinte de la mémoire phonologique, dans la mesure où une dimension sémantique est présente, les chiffres représentent un concept. Une faiblesse à ce niveau peut davantage indiquer une limite dans la quantité d’information retenue lors d’explications ou en lecture de textes, par exemple.
L’accès au lexique phonologique, plus couramment nommé l’accès lexical, est un marqueur cognitif important associé à la dyslexie et la dysorthographie. Les difficultés d’accès lexical peuvent s’observer en conversation (par exemple, avec des transformations de mots, des hésitations, des mots comme « chose, affaire »), en tâche de dénomination d’images (nommer ce que représente une image rapidement et précisément), en tâche d’évocation lexicale (ex. nommer le plus de mots possible pendant une minute selon un critère précis) ou encore dans la production d’un texte. Dans ce cas, le manque de variété, de richesse de mots de vocabulaire ainsi que la répétition de mots pourraient être observés.
Une autre tâche hautement reconnue pour évaluer l’accès au lexique phonologique pour confirmer la présence d’une dyslexie et dysorthographie est la DRA, la dénomination rapide automatisée. Cette tâche exige que l’apprenant nomme le plus rapidement possible 4 ou 5 images (ex. lapin, raisin, chapeau) et des lettres ou des couleurs (ex. bleu, rouge, vert). Ces images présentées dans le désordre, sur 4 ou 5 rangées, doivent être nommées sans faire d’erreur. Bien que cela ne semble pas consensuel, certains auteurs indiquent que la dénomination rapide de mots ou de lettres serait une tâche plus prédictive de la compétence en lecture.
D’une façon moins consensuelle, d’autres scientifiques tentent de comprendre les troubles de la lecture et de l’écriture autrement que par des difficultés phonologiques. Ces théories moins solides au niveau scientifique constituent des perspectives importantes à considérer. Il n’est pas rare que les profils des jeunes soient inhabituels et ne concordent pas avec les théories les plus reconnues. Ces hypothèses scientifiques permettent un nouvel éclairage sur la situation et offrent la possibilité d’établir un profil cohérent des jeunes évaluer.
Par exemple, Sylviane Valdois est une chercheuse qui travaille sur l’hypothèse qu’un empan visuo-attentionnel réduit peut entrainer des difficultés en lecture. L’expérience clinique m’a permis d’identifier qu’en effet, pour certaines personnes, cette difficulté a des impacts majeurs en lecture, affectant la vitesse ou la précision alors que l’écriture est mieux préservée. D’autres hypothèses visuelles telles que l’encombrement visuel (crowding) ou le déplacement de l’attention visuelle pourraient expliquer en totalité ou en partie les difficultés de lecture. Un mémoire en orthophonie de 2020 traite du crowding et du développement d’une tâche pour en évaluer l’impact.
Personnellement, bien que la recherche doit poursuivre ses travaux pour mieux documenter ces dimensions, les forces et les défis en lecture et écriture de certains jeunes me permettent d’entrevoir des difficultés visuelles. Dans plusieurs cas, ces atteintes sont combinées à des troubles de nature phonologique.
D’autres profils me questionnent plus particulièrement lorsque des difficultés importantes sont observées en production de mots écrits.
Par exemple, lorsque des confusions phonologiques importantes à l’écrit sont observées en écriture, mais très peu en lecture, la discrimination auditive doit être systématiquement évaluée. La discrimination phonologique est la capacité à distinguer les différences entre les sons. En français, certains sons sont plus difficiles à distinguer, comme le /p/ et le /b/ parce que la seule différence entre les deux est le voisement (le son /p/ est non voisé et le son /b/ est voisé, les cordes vocales bougent dans ce dernier cas).
D’autres jeunes présentent des difficultés marquées au niveau de la graphomotricité, concept explicité dans un vidéo de Natasha Rouleau, ergothérapeute. Son mémoire de maitrise en 2016 lui a permis d’approfondir et de documenter la question. La réponse à cette question n’est pas simple et évidente, mais l’expérience clinique permet de confirmer que le geste graphomoteur peut avoir des impacts importants sur l’habileté à écrire s’il n’est pas automatisé.
Finalement, Brigitte Stanké, professeure et chercheuse, rapporte que des difficultés mnésiques peuvent expliquer les difficultés très fréquentes qu’on observe à orthographier les mots chez les jeunes dyslexiques et dysorthographiques. Se basant sur le modèle MNÉSIS qui explique le plurisystème de mémoire humain, elle avance que des dysfonctionnements de la mémoire (encodage, consolidation et récupération de l’orthographe des mots) peuvent altérer la capacité à orthographier les mots. Pour bon nombre de jeunes, la capacité à récupérer les mots emmagasinés dans leur lexique orthographique est altérée, indépendamment de leur capacité à reconnaitre le lexique orthographique en situation de lecture. À l’instar de l’accès au lexique phonologique, un décalage est possible, voire probable, entre la capacité à reconnaitre des mots écrits et la capacité à les produire si on considère cette perspective de consolidation et de récupération du lexique orthographique.
Malgré l’incertitude de ces hypothèses scientifiques, ces perspectives permettent souvent de mieux comprendre la situation d’un jeune, de recommander au mieux des mesures d’aide et d’agir le plus adéquatement possible en intervention. Considérer ces différentes perspectives théoriques imparfaites permet de se rapprocher un peu plus de la réalité, complexe et incomplète.